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Blog sur la nature et ses merveilles

La Vallée qui chante - chapitre 15 -

"La vallée qui chante " écrit par Elisabeth Goudge n'est plus édité depuis longtemps. C'est un livre merveilleux qui parle des esprits de la nature.

Je vais vous faire découvrir cette belle histoire..

 

 

Au XVIIIe siècle,  dans la ville de Hard, la petite Tabitha Silver a découvert "la vallée qui chante" c'est à deux pas de la ville, un paradis terrestre souterrain, peuplé de créatures fabuleuses, auquel la simplicité de l'enfance peut seule donner accès.

Au début de ce récit féérique et fantastique, la consternation règne dans le petit port de Hard où l'on doit abandonner, faute de crédits, la construction d'un magnifique navire.

Finalement, grâce à l'intercession de Tabitha et de quelques artisans au cœur simple, le peuple de la vallée viendra au secours de la ville et fournira au chantier naval tous les matériaux dont il a besoin.

Un récit merveilleux où chacun retrouvera, le temps d'une lecture, son âme d'enfant.

 

Suite de l'histoire 

Quand sa mère en eut fini avec elle, il était près de neuf heures et la petite fille prit ses jambes à son cou. Tout en dévalant la rue du Bois, elle crut apercevoir un groupe nombreux qui discutait avec animation, mais elle n'avait pas le temps de s'arrêter. La chaise attendait déjà dans la Grande Rue; Bill le cocher, tenait le poney et Mr et Mme Peregrine sortaient de la maison. Mr Peregrine avait son habit de velours couleur de mûre et son tricorne perché sur le haut de sa perruque; Madame portait une robe de satin mauve et un chapeau à plumes; elle avait mis beaucoup de poudre et de rouge. Derrière elle venait Mignon, tout empêtrés de nœuds mauves. Leurs vêtements étaient encore moins adéquats que ceux de Tabitha pour un endroit où vaguent les lions; d'ailleurs Tabitha avait déjà perdu sa fraîcheur première, car elle avait tant couru que sa capote était de travers et le nœud de sa ceinture, ayant tourné, se trouvait sur son ventre au lieu d'être derrière son dos.

- Viens ici, petite, dit Madame, et elle remit ces accessoires sur place.

- Mr Peregrine prit les rênes des mains de Bill, au grand soulagement de Tabitha qui ne voyait pas celui-ci passant par la petite porte; et l'on enfila la Grande Rue.

La chaise ne contenait en réalité que deux places, et Tabitha, blottie entre Mr et Madame Peregrine, dut s'asseoir très en avant sur le siège, tandis que Madame prenait Mignon sur ses genoux. Chérie, le poney blanc de Madame, se mit courageusement en route; mais elle était âgée et dodue, avec une longue queue touffue, de sorte qu'on allait pas vite.

- Mignon avait hier de ravissants rubans, se lamenta Madame; des nœuds de satin rose. Et ce matin il n'y en avait plus. On les lui a surement volés, qui cela peut-il être ?

Tabitha se félicita d'être assise en avant, de sorte que sa capote pût cacher sa rougeur.

- Il faut dépasser l'église, se hâta t-elle d'expliquer à Mr Peregrine, puis prendre le petit chemin creux. Je ne pense pas que vous soyez jamais allé par là.

- Pas depuis longtemps. J'y allais souvent quand j'étais petit et, si je me souviens bien, je m'amusais dans une carrière abandonnée qui se trouve de ce côté. C'est un endroit merveilleux pour les enfants.

Tabitha, toute surprise, se démancha le cou pour tourner la tête vers le maître d'œuvre; il paraissait absorbé comme quelqu'un qui cherche à rassembler ses souvenirs.

- C'est justement là que nous allons , chuchotât elle.

Mais Mr Peregrine avait cessé de s'occuper d'elle.

- Qu'est-ce que tout ce bruit dans la rue du Bois ? demanda t-il; effleurant du fouet le dos de Chérie, il la fit tourner de ce côté.

Tous les ouvriers du Hard semblaient s'y être donné rendez-vous, de même que tous les chiens, les chats et les marmots, et par dessus le marché un bon nombre de commères. Tout le monde contemplait et tripotait du bois, avec autant de convoitises qu'un avare son or, bien que la cloche eût sonné l'ouverture des chantiers depuis déjà dix bonnes minutes. A l'instant où la foule aperçut Mr Peregrine, elle éclata en cris de joie :

- Hourra maître ! voilà le bois pour le navire ! hourra, hourra !

- Silence, canaille ! cria Mr Peregrine en se mettant debout sur sa chaise. Voulez-vous bien vous mettre au travail à l'instant même ! N'y a t-il pas assez de bateaux en chantier qui réclament vos soins ?

- Et le long courrier, maître ! hurla une voix. Le bois n'est-il pas pour notre long-courrier ?

Les hourras reprirent de plus belle.

- En voilà assez ! riposta Mr Peregrine. J'ai retardé l'ordre de démolition, je ne l'ai pas annulé. Silence donc ! Quand au bois, je ne sais d'où il vient et je suppose qu'il est ici par erreur. Silence, ai-je dit ! Laissez ce bois tranquille ! Celui d'entre vous qui ne sera pas au travail d'ici dix minutes, je l'écorche vif de mes propres mains. Au travail !

Les hommes obéirent et se dispersèrent en riant. Sans aucun doute ils étaient parfaitement décidés à prendre le bois pour le navire.

- Ils travailleraient sans demander de salaire, je vous l'ai déjà dit, assura Tabitha.

- Tiens ta langue, friponne, dit Mr Peregrine en rajustant son chapeau.

Tabitha obéit, car elle sympathisait avec lui et comprenait que ses rages à lui, comme les siennes à elle, ne s'évaporaient qu'à la longue.

- Seigneur ! remarqua paisiblement Madame; en route, Antoine. L'exercice te fera du bien.

Mr Peregrine se remit en route, sans cesser de jeter feu et flamme. Quand ils atteignirent la haie de vieux ifs qui bordait le jardin du presbytère, ils entendirent fredonner une voix lasse et comprirent que le pasteur Redfern était en train de désherber. Cinq escargots, jetés par dessus bord d'une main décidée, atterrirent droit sur eux. Madame poussa un cri, Mignon un aboiement, Mr Peregrine un juron, mais Tabitha étendit une main preste et cueillit un escargot sur le genou de Madame, un autre sur le chapeau à plumes, un troisième sur le dos de Mignon et le dernier sur le soulier de Mr Peregrine, qui s'apprêtait à secouer vigoureusement son pied; les enveloppant de son mouchoir, elle les mit en sureté au fond de sa poche.

- C'est inouï ce que l'on peut être méchant avec les escargots ! déclara la petite fille.

Le cinquième colimaçon avait réussi à se fourrer, sans être vu, dans la poche du maître d'œuvre où il se tint clos et couvert.

- Ce vieux diable de Redfern l'a fait exprès ! grommela Mr Peregrine.

Puis il sourit, car il aimait beaucoup le pasteur, qui savait couper court à ses accès de colère. Il se rappelait le jour où, s'étranglant de rage contre son cocher au beau milieu de la rue des Fleurs, le pasteur Redfern, claudiquant sur sa canne, lui avait crié en passant :

- Comme il fait beau ! sentez-vous le parfum des lys et des gueules de loup ?

Et sa colère était retombé d'un seul coup.

Le sourire de Mr Peregrine se changea en un rire joyeux, et tous trois, riant et bavardant, se dirigèrent vers la carrière.

La chaise réussit à se faufiler le long du chemin creux, bien qu'elle en frôla les deux haies, mais en arrivant au petit sentier il fallut y renoncer, comme Tabitha l'avait prévu.

- Nous devons continuer à pied, maintenant Chérie jeta un hennissement de détresse.

- Tout beau Chérie, dit Mr Peregrine en descendant, les rênes à la main, et en cherchant du regard quelque barrière ou quelque branche à quoi les attacher. Tendrement mais de propos délibéré, Chérie lui donna un coup de tête.

- Chérie ! s'écria Madame. Mignon ! Mignon ! Chérie ! Mon Dieu ! Mon Dieu !

Mignon lui avait échappé des mains et se précipitait vers la clairière. Chérie, bondissant derrière lui, heurta la chaise contre le talus si violemment que Madame et Tabitha, jetées dans les bras l'une de l'autre, dégringolèrent sur le plancher.

- Mon Dieu ! j'en ai toutes les dents agacées ! soupira Madame.

- Que faire ? que faire ? gémit Mr Peregrine. Cette question venait à propos, car il se trouvait abandonné en arrière tandis que Chérie, trottant de toutes ses forces pour rattraper Mignon, paraissait vouloir mettre son équipage en pièces.

- ll n'y a qu'une chose à faire retorqua Tabitha, dételer Chérie et l'emmener avec nous.

Sautant à bas de la voiture, elle commença à détacher les boucles du harnais. Aussitôt Chérie se calma et hennit joyeusement: elle avait compris qu'elle allait pouvoir en faire à sa tête.

- Antoine, dit Madame en se redressant, notre conduite ne sied ni à notre âge ni à notre situation.

Mr Peregrine en tomba d'accord. Il était en train de grimper sur la chaise, le chapeau sur l'oreille et le gilet déboutonné.

- Depuis que cette gamine a mis sur mon bureau ce bouquet de primevères. Je me conduit comme un imbécile. Elle m'a positivement ensorcelé.

Tabitha se mit à rire et il lui sembla que ce rire éveillait autour d'elle mille échos. Se pouvait-il que le chemin faut peuplé d'Anges cachés sous les pommiers, en train de se tenir les côtes ? Se pouvait-il qu'ils eussent combiné ce traquenard pour forcer Madame et le maître d'œuvre à redécouvrir en eux l'enfant qu'ils avaient été ? car peut-être cela leur serait plus difficile qu'à Job.

- Cela ne fait rien, Madame dit-elle ; vous n'avez qu'à vous imaginer que vous êtes redevenue petite, et tout ira bien.

Madame se mit à rire.

- Quel joli chemin ! dit-elle. Il est aussi joli que les chemins de France, mon pays. Quand j'avais ton âge, Tabitha, je montais à cheval au printemps dans les champs de pommiers en fleur... Antoine !

Mr Peregrine avait-il perdu l'esprit ? Il avait bondi par-dessus la chaise en poussant de grands cris, comme les écoliers dissipés qui font des culbutes au sortir de la classe, et, jetant à la volée chapeau, perruque, habit de velours, s'était élancé à toutes jambes derrière Mignon, Chérie, enfin dételée, aurait couru après lui si Tabitha ne l'avait retenue en lui mettant les bras autour du cou :

- Attends, Chérie, attends Madame ! supplia-t-elle.

Les bras toujours passés au cou du poney, Tabitha riait à chaudes larmes. Dire qu'elle avait craint que le maître d'œuvre ne retrouvât pas sa jeunesse aussi facilement que Job ! Mais il y avait réussi bien plus vite : il n'avait même pas eu besoin de franchir la petite porte de la clairière. Vraiment on ne peut pas juger l'âge réel des grandes personnes d'après leur apparence.

 Etouffant son rire, Tabitha se tourna vers Madame qu'elle s'attendait à trouver en larmes. Mais, tout en ramassant distraitement les vêtements épars de son époux pour les ranger sur la chaise. Madame contemplait les pommiers en fleur comme si elle avait oublié jusqu'à l'existence de Mr Peregrine.

- Les couleurs chantent, Tabitha dit-elle. Le savais-tu ?

- Oui, les fleurs de pommer ressemblent à un menuet joué sur un clavecin. Et, caressant le dos de Chérie :

- Venez, Madame, montez Chérie, comme quand vous étiez petite.

Madame qui était replète, se hissa péniblement sur Chérie et Tabitha l'escorta le long du petit chemin, jusqu'au ruisseau que Chérie remonta doucement. Arrivées devant la petite porte, elles la trouvèrent fermée. Chérie y posa le museau et se mit à hennir tout doucement. 

Tabitha regarda Madame, installée sur le dos de Chérie, elle paraissait perdue dans un rêve tandis que, perché près d'elle sur un buisson, le merle qui avait un bec semblable à un crocus chantait : "Loue le Seigneur ! " Madame souriait et paraissait aussi jolie et fraîche que tout à l'heure à la fenêtre, mais ce n'était pas une petite fille.

 

 

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