• La vie d'une mondaine

    La vie d'une mondaine

     Extrait du livre "L'appel du passé" de Elisabeth GOUDGE

     

    Je vais publier sur cette page des extraits de livres d'Elisabeth Gouge car cette auteure a un talent incomparable. Elle n'est malheureusement plus éditée mais l'on peut trouver ses livres chez des bouquinistes.

    Ces livres sont des trésors, j'aime les relire de temps à autre, il me semble alors "rentrer à la maison" ! J'y retrouve des impressions et vécus intérieurs qui dorment au fond de moi.

    Je vais partager avec vous quelques beaux extraits et s'ils éveillent un écho en vous, cherchez ses livres car ils sont tous merveilleux.

    La vie d'une mondaine

     

     

    Elle était jeune en bonne santé, agréable à voir; elle pouvait s'offrir des toilettes et elle n'avait rien d'autre à faire tout le jour qu'à se distraire.

    Elle avait des parents qu'elle faisait marcher à la baguette, et un fiancé ridiculement indulgent avec qui elle se comportait de même. Elle avait une petite chienne Sarah, et un chat persan, et une auto -une Hillman - et pourtant elle n'était pas heureuse.

    Judy était rassasiée de tout cela. Elle ne se rappelait pas en avoir jamais été rassasiée à tel point - et ceci un jour où l'univers ressemblait à une bulle de savon parée de toutes les couleurs de l'arc en ciel, et s'envolant dans le vent d'ouest.... Le cas était sérieux.

     Cette crise de satiété prenait la curieuse forme d'une perte d'identité. Il semblait à Judy que personne n'existait qui ne fut Judy Cameron. Elle n'était qu'une unité dans la foule, un simple pois dans la cosse de la société, si affreusement identique à tous les autres pois que si elle venait à disparaître, personne ne s'en apercevrait dans cette ronde tumultueuse qu'était la vie de Londres.

    Elle se rappelait le bal où elle était allée la veille. Cela avait été, aussi, une sorte de ronde. Elle se revoyait , elle et les autres jeunes filles qui étaient là, exactement semblables les unes aux autres, avec leurs lèvres fardées, leurs sourcils épilés et leurs ondulations permanentes. Identiques. Il en était de même des hommes. Tous portaient le même costume noir, la même chemise blanche. Tous débitaient d'une voix trainante les mêmes histoires stupides; tous jetaient aux femmes le même regard protecteur et légèrement insolent. Cette scène familière et agréable avait soudain donné la nausée à Judy. Que s'était-il passé au juste ? Etaient-ce ces gens qui se ressemblaient un instant - interrompant leurs aventures individuelles - pour échanger des politesses ? Ou étaient-ce ces poupées peintes que l'on allait mettre au enchères pour les adjuger aux plus offrants ? Judy qui n'était pas encore remise de la dépression que lui avait causé la grippe, et qui était mécontente de sa robe, estima que ce devait être la vente des poupées. Pas plus que ces poupées, elle et ses compagnes n'étaient des créatures véritables. Elles n'étaient que des pois - dans le compartiment féminin de la gousse de la société mondaine. Et que leur arriveraient-il ? Eh bien, se disait-elle, elles se contenteraient de danser, et de danser encore, jusqu'à ce qu'elles fussent mariées aux pois qui étaient dans l'autre compartiment de la gousse - après quoi, elles passeraient des années à remplir ce que l'on appelait des activités mondaines, ce qui consistait , pour autant que Judy en était informée, à rester debout au milieu d'une foule de mondains, à manger, à boire, à bavarder, et à avoir

    envie de s'asseoir........... Ensuite, elles mouraient...... Eh bien, la mort, en tout cas leur permettrait au moins de s'asseoir......

    Judy but son café, soupira, et sortit son poudrier. Elle se regarda dans le petit miroir convexe qui lui montrait son visage en miniature..... Pas mal.... Un petit visage pâle agréablement et artificiellement coloré. Des yeux noirs sous de minces sourcils épilés. Des cheveux bruns et ondulés.... Pas mal mais rien qui la différenciât des autres. Pas d'individualité. Elle ferma son sac et fit signe à la serveuse pour la régler. Encore une poupée, soit dit en passant, avec une chevelure couleur jaune d'œuf et une bouche comme une framboise.

     

     

     

    « Être soi-mêmeLa maison »
    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It

    Tags Tags : ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :