• J'ai nagé avec les dauphins

    J’ai nagé avec les Dauphins

    En mer Rouge, les cétacés acceptent le contact, dans un jeu de miroir puissant. A condition d’être subtile, l’approche vous révèle à vous-même de façon déroutante

     

    A peine ai-je glissé dans l’eau depuis le Zodiac – « avec délicatesse », nous a demandé Fred, notre guide apnéiste –, que les dauphins sont là. Un groupe d’une dizaine de Stenella longirostris avance à petite allure, comme pour me permettre de suivre. La beauté de ces dauphins à long bec est d’une finesse rare. Ventre gris clair, dos plus sombre, avec une bande foncée de l’œil aux nageoires pectorales, ils sont plus petits que leurs cousins Tursiops (l’espèce à laquelle appartient Flipper), ne dépassant guère les deux mètres de long. Une taille quasi humaine…

    Tout à coup, deux d’entre eux surgissent à ma gauche. Le plus proche doit être un mâle. Le soleil joue avec le grain de sa peau soyeuse, cet épiderme fascinant qui absorbe les turbulences à grande vitesse. Immense est la tentation de tendre la main pour le toucher, mais c’est hors de question : la déontologie de la communication interespèces me commande de garder les bras le long du corps. Respirant le plus calmement possible dans mon tuba, je me remplis les yeux. Lui aussi me scrute de son œil droit. Il a une cicatrice blanche sur le bord inférieur de la bouche (un signe qui va m’aider à le retrouver souvent, c’est sans doute le plus anthropophile de la bande – ou celui qui est chargé de nous surveiller ?).

    Mais voilà qu’ils me dépassent, m’invitant à virer comme eux à tribord. Nous effectuons ensemble une ronde en demi-cercle et soudain, ils plongent. Je les suis. Nous descendons de quelques mètres. Pour ne pas les perdre de vue, je me retourne sur le dos, contemplant la surface qui miroite en haut. Ils font des spirales que je tente maladroitement d’imiter. Je sais combien je suis raide. Mais le sentiment y est. Quel bonheur ! La qualité de l’eau compte. A 28 °C et quasi transparente, c’est l’une des plus salées du monde : elle me porte et j’ai bien besoin de ma ceinture de plomb pour descendre.

    Cela faisait dix ans que je n’avais plus tenté l’expérience, je m’attendais à avoir du mal à les suivre en apnée. Mais quand des dauphins jouent avec vous, vous oubliez de respirer ! Nous dansons ensemble un temps indéfini, dans la musique hyperaiguë qui signale leur présence de loin. Puis mes deux comparses rejoignent leur groupe, que je vois s’éloigner, tout au fond, dans une chorégraphie somptueuse.

    Observé de près, tout animal sauvage est passionnant. Mais celui-là ! Les cétacés sont les princes des mers. Leur intelligence nous est un mystère, puisque leur gros cerveau ne leur sert pas à fabriquer des objets, mais juste à entrer en relation, notamment par des sons qui ressemblent à des musiques. Pourtant, depuis peu, les humains ont percé une partie de ce mystère.......

    Une communication qui ouvre les cœurs

    Nous sommes ancrés en pleine mer, dans le lagon des dauphins, à la latitude du barrage d’Assouan, près du tropique du Cancer. Assis en cercle sur le pont, nous partageons nos impressions, dans l’exaltation générale. Il faut dire que nous avons été gâtés. Un groupe de plus de cent Stenellas nous a accueillis d’une façon telle que nous avons dû réviser notre échelle des contacts. Ordinairement, celle-ci est à trois degrés : au premier, les dauphins sont en vue, mais disparaissent dès qu’un humain plonge. Le deuxième degré concerne des dauphins au repos, pouvant vous laisser nager à proximité si vous restez tranquille, mais n’interagissant pas. Dans le troisième degré, les dauphins sont d’accord pour une interaction plus ou moins grande.

    Aujourd’hui, il nous faut inventer un quatrième degré, tant le contact a été puissant. Nous ne savions plus où donner de la palme. A peine un dauphin avait-il fini de danser avec vous, qu’un, deux ou trois autres vous entraînaient ailleurs, tantôt vifs, tantôt contemplatifs. Même ceux d’entre nous qui rechignent à plonger ont été comblés. Les témoignages sont euphoriques. Michel n’aurait jamais pensé « qu’une communion totale avec des êtres d’une autre espèce soit possible ». Agnès est hilare : « Une maman dauphin a poussé vers moi son petit, elle voulait me le présenter. » Franck assure que cette plongée restera gravée en lui à vie. Claude a été frappée par l’esthétique de la rencontre et bouleversée par la danse en apnée de Frédéric : un humain peut donc nager au milieu de dauphins avec la même grâce qu’eux ! Amélie a traversé trois stades : d’abord un immense fou rire ; puis les dauphins l’ont emmenée « voir ses ombres et limites » ; enfin, ils l’ont entraînée dans leurs jeux, dont elle est sortie exultante et épuisée. Christine préfère « ne pas chercher à verbaliser » une expérience qui l’a submergée.

    La « communication delphinienne » s’inscrit facilement dans une démarche de développement personnel. C’est fou ce que ces animaux sublimes peuvent servir de miroir, ouvrir les cœurs et désamorcer les inhibitions. Peu à peu s’installe un esprit de groupe. Ou plutôt le désir d’un esprit de groupe, car si notre esprit de coopération est remarquable au sec, sitôt dans l’eau, nous avons tendance à nous disperser comme des enfants étourdis. Or, tout se passe comme si les dauphins, dont les gestes sont si bien synchronisés, nous invitaient à faire comme eux. A mesure que la semaine s’écoule, nous allons former des figures collectives dans l’eau, nous tenant les uns aux autres de différentes façons (par les mains ou les palmes)...

    Le dilemme du tourisme delphinien

    Nous en sommes là, flottant ensemble en un grand cercle sur la mer, espérant naïvement que les dauphins vont venir jouer dans notre ronde, quand d’épouvantables cris nous font sursauter : « Dolphins ! Go ! Go ! Go ! » Nous voilà entourés d’une nuée de nageurs inconnus, qui plongent en faisant la bombe au-dessus des dauphins. Ces derniers déguerpissent. Nous nous réveillons de notre rêve de fraternité interespèces. A notre honte, ces intrus sont français. Au cours de la semaine, nous verrons défiler plusieurs autres groupes, qui ne respectent pas les mêmes consignes d’approche respectueuse.

    Si depuis les années 1950, la mer Rouge et ses récifs de corail étaient le paradis des plongeurs équipés de bouteilles, désormais c’est aussi celui des apnéistes delphiniens – depuis que Frédéric Chotard a lancé ses « croisières dauphins », en 2003. Résultat : les rencontres humains-dauphins sont en pleine expansion. Certains jours, ce sont dix bateaux qui se trouvent amarrés dans le lagon – soit deux cents humains désireux de nager avec les dauphins. Certes, on estime à plusieurs centaines le nombre des Stenellas qui reviennent chaque matin se reposer dans ce lieu, jouer et s’accoupler, après avoir passé la nuit à chasser au large. Mais bientôt tous les lagons de la mer Rouge risquent de se trouver saturés, ce qui aura un effet pathogène sur l’écosystème. Se pose dès lors une grande question : un écotourisme delphinien est-il possible ?

    Il n’y a pas de réponse simple. L’écotourisme fait aujourd’hui l’objet de débats. A l’instant où j’écris cet article s’achève en France, le premier Forum national du tourisme responsable (1). Paradoxalement, l’opposition la plus vive aux voyages comme le nôtre fait se rejoindre les militants durs de la protection de la nature et les propriétaires des delphinariums. Les premiers estiment que tout écosystème menacé, un atoll par exemple, devrait être interdit aux non scientifiques ; les seconds renchérissent, incitant les foules à payer le billet d’entrée de leurs cirques aquatiques, dont certains vous proposent de grimper sur des dauphins domestiqués – j’avoue être de ceux qui se révoltent à l’idée que l’on emprisonne des animaux sauvages.

    Certains lagons ayant déjà été saturés, les autorités égyptiennes ont opté pour une réglementation, forcément bureaucratique, avec réservation de créneaux d’une demi-heure et port obligatoire de gilets de sauvetage. Mais il existe d’autres perspectives. D’abord du fait des dauphins eux-mêmes. D’année en année, ils sont de plus de plus interactifs. Comme s’ils avaient appris à nous connaître. Du coup, il devient plus facile de convaincre les voyagistes d’adopter une charte éthique car les dauphins fuient les humains grossiers ! Frédéric Chotard y pense (2). Il aime citer ce proverbe égyptien mystérieux : « Quand tu es au fond du gouffre, si tu es sincère, le dauphin t’apparaît. » Il est vrai qu’ici dauphin se dit « abu salam », ce qui signifie « père de la sagesse ».

    (1) www.forum-national-tourisme-responsable.com et www.voyageons-autrement.com.

    (2) Il s’en explique sur son site www.sea-dolphin.fr.

    Source : Newsletter CLES

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