• La nature

    La nature

    Poème de Victor Hugo 

    La nature 

     La terre est de granit, les ruisseaux sont de marbre ;
    C'est l'hiver ; nous avons bien froid. Veux-tu, bon arbre,
    Être dans mon foyer la bûche de Noël ?
    La nature- Bois, je viens de la terre, et, feu, je monte au ciel.
    Frappe, bon bûcheron. Père, aïeul, homme, femme,
    Chauffez au feu vos mains, chauffez à Dieu votre âme.
    Aimez, vivez. - Veux-tu, bon arbre, être timon
    De charrue ? - Oui, je veux creuser le noir limon,
    Et tirer l'épi d'or de la terre profonde.
    Quand le soc a passé, la plaine devient blonde,
    La paix aux doux yeux sort du sillon entr'ouvert,
    Et l'aube en pleurs sourit. - Veux-tu, bel arbre vert,
    Arbre du hallier sombre où le chevreuil s'échappe,
    De la maison de l'homme être le pilier ? - Frappe.
    Je puis porter les toits, ayant porté les nids.
    Ta demeure est sacrée, homme, et je la bénis ;

    Là, dans l'ombre et l'amour, pensif, tu te recueilles ;
    Et le bruit des enfants ressemble au bruit des feuilles.
    - Veux-tu, dis-moi, bon arbre, être mât de vaisseau ?La nature
    - Frappe, bon charpentier. Je veux bien être oiseau.
    Le navire est pour moi, dans l'immense mystère,
    Ce qu'est pour vous la tombe ; il m'arrache à la terre,
    Et, frissonnant, m'emporte à travers l'infini.
    J'irai voir ces grands cieux d'où l'hiver est banni,
    Et dont plus d'un essaim me parle à son passage.
    Pas plus que le tombeau n'épouvante le sage,
    Le profond Océan, d'obscurité vêtu,
    Ne m'épouvante point : oui, frappe. - Arbre, veux-tu
    Être gibet ? - Silence, homme ! va-t'en, cognée !
    J'appartiens à la vie, à la vie indignée !
    Va-t'en, bourreau ! va-t'en, juge ! fuyez, démons !
    Je suis l'arbre des bois, je suis l'arbre des monts ;
    Je porte les fruits mûrs, j'abrite les pervenches ;
    Laissez-moi ma racine et laissez-moi mes branches !
    Arrière ! hommes, tuez ! ouvriers du trépas,
    Soyez sanglants, mauvais, durs ; mais ne venez pas,
    Ne venez pas, traînant des cordes et des chaînes,
    Vous chercher un complice au milieu des grands chênes !

    La natureNe faites pas servir à vos crimes, vivants,
    L'arbre mystérieux à qui parlent les vents !
    Vos lois portent la nuit sur leurs ailes funèbres.
    Je suis fils du soleil, soyez fils des ténèbres.
    Allez-vous-en ! laissez l'arbre dans ses déserts.
    A vos plaisirs, aux jeux, aux festins, aux concerts,
    Accouplez l'échafaud et le supplice ; faites.
    Soit. Vivez et tuez. Tuez entre deux fêtes
    Le malheureux, chargé de fautes et de maux ;
    Moi, je ne mêle pas de spectre à mes rameaux !

    La nature

    Victor Hugo 

     

     

    « Unité de toutArbre de vie »
    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It

    Tags Tags : ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :